Etes-vous prêt.e à embrasser le tango en entier ?

Lorsque Buenos Aires en Perche a été imaginé, l’idée était d’offrir aux participants l’opportunité de rencontrer et découvrir des maestr@s venus du monde entier. Leur permettre de voyager avec eux dans ce monde du tango, si riche et passionnant. Dans cette quête, Gisela Passi et Rodrigo Rufino, sont arrivés dans notre Festival, non pas en provenance d’Argentine, mais du Perche où ils vivent.

Il y a des couples de maestr@s qui vous touchent plus profondément, parce qu’ils dansent avec une intensité et une élégance silencieuse. Gisela Passi et Rodrigo Rufino font partie de ceux-là. Il y a une justesse dans chaque geste, une fluidité quasi hypnotique. Leur tango parle d’écoute, d’intimité, d’équilibre et de virtuosité. Car Gisela et Rodrigo vivent le tango en entier : musique, poésie, culture, peine et joie, tout cela contenu dans un abrazo.

Ils viennent depuis plusieurs années à Buenos Aires en Perche ; nous leur avons donc posé quelques questions. Sur leur parcours, leur vision de l’enseignement, et ce qu’ils souhaitent transmettre à chacun des participants du Festival, qui assisteront à leurs cours. Voici leurs réponses, sensibles et sincères.

 

Tango total avec Gisela et Rodrigo

Vous formez un couple de tango depuis plus de 20 ans. Qu’est-ce qui continue à vous surprendre dans votre danse à deux ?
Ce n’est peut-être pas la surprise ou l’éblouissement qui nous motive à chaque danse. Mais plutôt une amitié pleine et profonde. Nous aimons partager le tango ensemble tous les jours, parce que nous le ressentons et nous le vivons de la même façon. Nous sommes « âmes sœurs de tango ».

On sent chez vous une harmonie rare : est-ce quelque chose qui s’est construit avec le temps ou qui a toujours été là ?
L’harmonie d’aujourd’hui s’est construite à travers des années et des années pendulaires entre conflit et équilibre. Nous avons été ensemble et séparés dans la vie de nombreuses fois, mais nous n’avons jamais arrêté le couple de tango. C’est ça notre cadence.

 

En quoi vos histoires personnelles nourrissent-elles votre façon d’enseigner ?
Après tant d’années d’expérience, de basculements dans nos vies personnelles (de l’Argentine à la France, puis de la ville à la campagne), et après tant de soirées de milonga, notre enseignement est véritablement centré sur l’aspect social. Nous avons envie de créer une communauté de tango qui serait dans l’intelligence de vie et la connaissance du tango, plutôt que dans la consommation et la réussite.

 

À Buenos Aires en Perche, vous allez rencontrer des danseurs que vous ne connaissez pas, pour vos deux cours. Qu’est-ce qui compte pour vous dans ce type de transmission “éphémère” ?
Le stage ponctuel est un excellent exercice de synthèse pour les professeurs et les élèves.
Comme une rencontre fugace dans un train, nous pouvons entamer un dialogue superficiel ou alors, peut-être, nous lancer et nous confier avec générosité, dans ce bref laps de temps.
Nous aimons tout donner, semer des graines.

 

Quand vous donnez un cours ponctuel, quelle est votre priorité : faire ressentir quelque chose, transmettre une structure, ou partager une ambiance ?
C’est joliment énuméré, nous nous efforçons de transmettre tout cela ! En y ajoutant la culture du tango, telle que nous la vivons. Il y aura toujours une référence à une parole, à un personnage historique ou à un autre aspect fondamental du tango argentin.

 

Comment créez-vous une vraie connexion avec un groupe d’élèves que vous découvrez à peine ?
Nous donnons nos cours dans le plus pur style argentin. On crée une complicité sans à priori, sans timidités. Nous pourrions quasiment aller boire un verre, tous ensemble, à la fin de chaque stage. Pour nous, c’est naturel.

 

Vos deux cours cette année sont centrés sur la pratique du bal : circuler sur la piste, danser la valse argentine. Pourquoi ce choix ?
En réalité, nous enseignons toujours le tango sur deux axes d’étude qui cohabitent : le bal et la musique. Dans les éditions passées du festival, nous nous sommes consacrés exclusivement à la musicalité. Cette année, nous développerons la logique du vocabulaire pour la piste, des pas de tango et de valse pour circuler dans une milonga (et en musique !)

 

Que cherchez-vous à transmettre à travers le thème « le tango du bal » ? Est-ce une manière d’inviter les élèves à s’approprier la milonga différemment ?
Nous invitons les élèves à entrer dans le monde fascinant du langage du bal, sans qu’ils aient besoin d’utiliser des figures fantaisistes pour s’amuser.
Notre volonté est de donner des éléments accessibles et un répertoire de danse traditionnel, pour interpréter la musique dans l’abrazo.
Trouver le plaisir dans cette « apparente » simplicité.

 

Selon vous, que signifie « bien danser » dans une milonga ? Est-ce une question de technique, de ressenti, de respect des autres ?
Bien danser en bal commence par comprendre l’esprit de communauté. La créativité, les figures, la musicalité, la communion en couple, tout est possible en connaissant le bon langage. La seule limite, c’est ne pas nuire à la danse des autres couples sur la piste. Nous transmettons tout ce que nous avons vécu et observé, pour nourrir le bal de bons milongueros et de bonnes milongueras.

 

Vous avez dit que le tango ne se réduit pas à une danse, mais qu’il est une culture entière. Quels aspects vous tenez particulièrement à transmettre dans vos cours ?
Les élèves peuvent apprendre le tango soit à partir de la technique et du mouvement corporel, soit à partir de la culture du tango, vécu comme une expérience sociale. Les deux chemins doivent absolument se croiser, à un moment ou à un autre, pour bien danser en bal.

Nous considérons, par exemple, qu’il est vraiment dommage de danser un tango chanté, sans avoir la moindre idée de ce que racontent les paroles. Nous les traduisons pour nos élèves. Mais il est également malheureux de danser sans un bon axe corporel. L’objectif est de diffuser à la fois l’érudition des sources historiques, et la culture folklorique et populaire du tango. Et de développer la technique corporelle nécessaire.

 

Pour mieux danser, faut-il mieux écouter ou mieux regarder ? Ou peut-être lire, ou rêver ?
Pour bien danser le tango, il faut l’embrasser en entier.

Y a-t-il une chanson, un poème ou une image de Buenos Aires qui vous inspire encore aujourd’hui, chaque fois que vous entrez dans une salle de bal ?

Gisela : « Si es tan humilde y tan sencillo en sus compases, porque anotarle un mal ejemplo en cada frase » (du tango « Una Emoción »). « Son rythme est si humble et si simple…à quoi bon lui donner une mauvaise image à chaque phrase »

 

Rodrigo : « Durante la semana, meta laburo, y el sábado a la noche sos un doctor » (du tango « Garufa »).  « C’est le turbin pendant toute la semaine, mais le samedi soir tu deviens un Monsieur…. »

 

Si le tango était un mot ou une image, ce serait quoi pour vous deux ?

Gisela : Pour moi, le tango est l’expression de « una pena« , une peine. Je crois que nous portons, tous et toutes, une peine quelque part dans notre cœur. Elle peut être petite et s’agripper comme « El abrojito« , ce petit chardon qui s’accroche aux vêtements quand on marche à la campagne. Ou elle peut être grande, comme « el puñal« , le poignard qui reste planté dans le cœur. Apprendre à exprimer cette peine est tout l’art du tango.

Rodrigo : Le tango est une lamentation de bandonéon dans la nuit, une caresse de maman, un baiser passionné, un verre en trop, un abrazo anonyme, une mélodie sifflée, la solitude et l’exil.